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« Mais franchement, tu ne crois pas que t’as passé l’âge ? ». « Élève Martin, vous n’êtes pas là pour jouer ! ». « Tu n’as rien de mieux à faire ? ». Voilà le genre de phrases typiques que l’on pouvait entendre jusqu’à encore récemment, à l’école ou chez soi. Aujourd’hui, si le jeu n’est plus l’adage de la seule enfance, nous avons surtout pris conscience qu’en jouant, nous développons de nombreuses compétences, savoirs et apprentissages. Alors vraiment, le jeu à l’école, c’est une bonne idée ? Pour le savoir, nous avons rencontré Romuald Ropars, directeur d’une école primaire de Seine Saint-Denis, dans un quartier populaire de Drancy.
Découvrez l’interview de Romuald, directeur d’école dans une école primaire de Seine Saint-Denis
Yored : Romuald, dans ton école, que mes filles ont fréquentée, ce qui explique que l’on se connaisse, tu as décidé d’utiliser le jeu, et ce du CP au CM2 ! Comment as-tu eu l’idée de mettre ça en place ?
Romuald : Je suis amateur de jeux de plateaux depuis mon enfance. Quand je suis devenu directeur de cette école, l’équipe municipale était à l’écoute pour monter des projets pédagogiques autour du jeu. J’ai saisi l’occasion.
Y : Moi qu’on a brimé, petit, lorsque je jouais en classe, peux-tu m’expliquer pourquoi est-ce un bienfait de jouer à l’école ?
R : L’intérêt est multiple. Tout d’abord, la motivation principale de l’enfant c’est de jouer. Il n’y a rien de plus facile que de faire travailler un enfant en le faisant jouer. On pourra lui faire réaliser des choses dont même lui n’a pas conscience parce qu’il n’est pas en train de travailler ou de faire une activité désagréable, il joue. Le but c’est de lui faire apprendre des compétences. Les ateliers ludiques sont utilisés pour l’apprentissage de la lecture, et c’est très efficace. Cela rend les choses plus faciles et tout le monde est gagnant, y compris l’enfant qui fait preuve, en jouant, de persévérance.
Y : Est-ce quelque chose qui est reconnu de manière « officielle » par les instances éducatives ?
R : L’éducation nationale a compris que l’on ne pouvait plus enseigner aujourd’hui comme on le faisait il y a 20, 30 ans ou plus. Elle pense qu’il faut s’adapter au public que l’on a. Il faut dire que nous-mêmes, enseignants, n’avons plus la même vision de la société que nos prédécesseurs. La grande majorité des adultes que nous sommes jouons, que ce soit à des jeux de société, vidéo, lego, etc. Il est vrai que nos aînés jouaient essentiellement à la belote, au tarot, à la pétanque voire aux quilles ou aux fléchettes. Aujourd’hui c’est très différent. L’éducation nationale accorde aujourd’hui du crédit aux projets pédagogiques sur le jeu, et propose même des formations sur ce sujet, et c’est vraiment bien. Nous utilisons aussi énormément le réseau Canopée*, qui propose de nombreux outils ludiques pour l’éducation. La transmission du savoir n’en est que plus facile.
* Opérateur du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Réseau Canopé a pour mission la formation tout au long de la vie et le développement professionnel des enseignants. Il les accompagne notamment dans l’appropriation des outils et environnement numériques.
Y : Est-ce que le jeu, ça s’apprend ?
R : Bien sûr ! La première difficulté que l’on rencontre, c’est la persévérance. Les enfants sont dans la culture de l’immédiat, ils ne connaissent pas les phases de découverte. C’est-à-dire qu’ils sont dans la pure consommation. On joue, c’est tout. Or, ils doivent apprendre qu’une cession de jeu commence par le choix du jeu, l’ouverture de la boîte, la mise en place, l’apprentissage des règles, la partie, et enfin le rangement de la boîte ! C’est une première chose à apprendre au début de l’année. Il y a ensuite l’apprentissage du respect du matériel, car nous sommes dans une société du jetable. Ils n’ont pas conscience que s’ils tordent une carte, reconnaissable du coup, ils peuvent rendre le jeu inutilisable pour eux comme pour les autres. Et il en va de même pour les pions, les dés, etc. C’est un gros travail au début. Les jeux sont faits pour durer, pour soi comme pour ceux qui viendront après.
Y : On parle beaucoup de l’effet néfaste des écrans sur la concentration des enfants*. Le ressens-tu ?
*Même si une étude récente atténue cette affirmation en insistant surtout sur leur usage.
R : Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’y a pas de souci de concentration lors des parties. Des élèves de CE2 avec lesquels nous jouions aux Aventuriers du Rail, pouvaient facilement, de l’ouverture de la boîte au rangement, jouer 45 minutes sans interruption. Quand l’activité les motive, ce n’est pas un souci. Toutefois, quand ils rencontrent une difficulté, qu’ils n’y arrivent pas, ils ont tendance à décrocher, à ne pas persévérer. Au bout de deux échecs, le jeu est « nul ». C’est là que l’accompagnement est important, pour les motiver à continuer et à franchir l’obstacle. La remise en question de ses propres erreurs et compétences est quelque chose qui s’apprend, tout comme la gestion de la frustration. C’est la raison pour laquelle le jeu en coopération a une place de plus en plus importante dans notre école.
Construire une stratégie, rester concentrés autour du plateau : autant de bienfaits des jeux de société !
Y : Le jeu est donc entré dans le champ de connaissance des enfants, mais est-ce qu’il parvient à entrer chez eux, là où la console a souvent une grande place ?
R : Les enfants, du CP au CM2 sont donc habitués à voir le jeu à l’école, c’est un élément de leur quotidien. Mais pour moi, il est capital de le réintroduire au sein des familles. Ma philosophie c’est que si l’on n’associe pas les familles, on perd 90 % du travail effectué en classe. Aussi, nous avons créé des cafés-jeux pour les parents, sur certains créneaux. Les parents viennent, seuls, manger une tranche de gâteaux, boire un café et jouer à des jeux qu’ils pourront ensuite partager, voire faire découvrir à leurs enfants. Nous avions aussi, avant le covid, créé des fins d’après-midi jeux pour les élèves, mais ils devaient obligatoirement être accompagnés d’un adulte. Aujourd’hui, pour lever le dernier frein qui pourrait gêner, le côté financier, nous avons créé une ludothèque dans notre école. Elle est d’ailleurs gérée par des parents d’élèves. Cela leur permet d’emprunter des jeux pour des sommes très modiques. Une fois par mois, une soirée permet aux familles de venir jouer et d’emprunter des jeux.
Y : As-tu des exemples concrets des bienfaits du jeu ? Qu’est ce que cela peut réellement amener aux enfants ?
R : Nous avions par exemple cet enfant, arrivé en début d’année dernière, qui présentait des troubles du comportement dû aux écrans. Cet enfant était enfermé dans sa bulle et ne communiquait quasiment avec personne. La maman avait conscience du problème et nous avons travaillé par le jeu. Alors qu’il était envisagé une scolarité sur des filières spéciales, cet enfant est aujourd’hui pleinement intégré à sa classe de CE1. Il a retrouvé des compétences d’échanges, de communication, qu’il avait totalement perdues. Lorsque l’on joue, on s’installe ensemble autour d’une table, comme pour un repas sans télé. On échange, on discute, on se regarde… et surtout, on se crée des souvenirs communs. Ce sont des expériences vécues ensemble et dont certaines nous restent en mémoire. Quand quelqu’un vous raconte ses vacances géniales, vous l’écoutez poliment, mais vous ne ressentez pas du tout la même chose que lui. Mais si vous les avez vécues aussi… Une partie de jeu qui a eu un déroulé ou une issue singulière, la famille en reparlera 10 ans plus tard.
Y : Comment être certain d’utiliser le bon jeu en fonction d’un apprentissage visé ?
R : C’est le travail du pédagogue. On peut chercher à développer des compétences transversales ou des compétences nécessaires à l’acquisition des apprentissages. Apprendre nécessite des prérequis que certains enfants n’ont pas. Ce peut être des prérequis culturels par exemple, ou de vocabulaire le plus souvent. Les enfants ont besoin de verbaliser les actions, leur réflexion, leur stratégie, leurs décisions. Et le jeu le permet, en introduisant des consignes dans la manière de jouer. Par exemple pour les Aventuriers du rail, les élèves doivent exprimer à haute voix ce qu’ils font : « Je pose tant et tant de cartes ; je place tant de wagons ; je relie telle ville à telle autre, etc. ». Petit à petit cela se ritualise et construit un réflexe de découpage des actions et un développement d’une manière de penser. Mais toujours sur ce jeu, on développe le déplacement dans l’espace, le repérage, l’appropriation d’une carte, le développement d’une stratégie, l’anticipation des actions, la mise en place de solutions face à un problème ou à un objectif, etc.
Y : Quels projets comptes-tu développer ces prochains mois ?
R : Cette année, nous lançons des ateliers d’écriture en rapport avec le jeu. Dans ce travail de critique de jeu, au sens complet du terme, pas dans le sens négatif, on sollicite une production d’écrits. J’ai des enfants, si je leur demande une rédaction de leurs vacances alors qu’ils sont restés ici, dans l’appartement de leur grand-mère, ça ne va pas les motiver, aussi gentille soit-elle. Cela peut même les renvoyer à une situation frustrante, par rapport à certains de leurs camarades. Là, ils vont rédiger quelque chose destiné à être lu ! Une boutique partenaire les affichera et le magazine Ravage en publiera certaines. De plus, il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse, ils vont exprimer un avis sur une expérience, ce n’est donc pas un exercice à sanction. L’idée c’est de transmettre ce qu’ils ont ressenti au fond d’eux. Une bonne manière aussi de voir qu’écrire ce n’est pas forcément rébarbatif et barbant, ce peut être une expérience enrichissante. Qui sait s’il n’y aura pas de futurs grands écrivains parmi eux ?
PS : Je remercie particulièrement Romuald et son équipe d’enseignant(e)s de l’école Diderot 1 à Drancy pour tout le travail extraordinaire qu’ils font et la dévotion sans faille dont ils font preuve dans leurs missions auprès des enfants.
Yored
Je suis une sorte de dinosaure du domaine ludique et plus encore du jeu de rôles que je pratique depuis 40 ans. En dehors de l’écriture de petits articles de ce blog, je cumule diverses activités dans le domaine en tant que travailleur indépendant. Je suis ainsi le rédacteur en chef du magazine de jeux de plateaux et de figurines Ravage. J’écris également différents articles, fiches produits et newsletter pour divers éditeurs. Sur mes loisirs, je joue en famille ou entre amis, aux jeux de plateaux et de rôles, et le vendredi midi, j'anime un club de jeux dans un collège de Rezé (44). Enfin, je copréside un supermarché coopératif et participatif.
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