Les jeux pour initiés

C’est compliqué votre jeu !

Vous avez raison. Certains jeux de société ne sont pas à la portée de tous et nécessitent un investissement de temps vraiment conséquent pour en profiter pleinement. Mais il existe aussi de nombreux titres qui font la passerelle entre les jeux de calibre costaud, comme Les Mâchoires du lion et les jeux poids lourds tels que Gloomhaven.

Ce serait tout de même dommage de se priver de nouvelles sensations ludiques, non ?

Ma Tata Ghislaine s’est retrouvée dans cette position. À Noël dernier, elle a voulu offrir à mon cousin un jeu “moderne”, mais sans trop savoir comment s’y prendre et à qui s’adresser.

Une fois franchie la porte du magasin de jeu, tout est devenu infiniment plus simple. Le secret ? Le conseil.
Bah oui. Dans cet océan de nouveautés, les ludicaires (c’est leur petit nom) sont des navigateurs émérites. Celui de Tata Ghislaine a su trouver le jeu de société qui lui fallait. Elle a même appris qu’il était possible d’apprendre à jouer sans lire la règle, en regardant les tutoriels disponibles sur internet et en les suivant pas à pas.

Bon, d’accord, mais j’achète quoi, moi ?

À vous de déterminer les critères vraiment déterminants pour trouver LE jeu de société qui vous conviendra. Cela peut être le temps dont vous disposez, le nombre de joueurs à votre table, leur âge…

Allez, on va faire un petit jeu. On dirait que vous seriez Tata Ghislaine et que je serais le vendeur. D’accord ?

« Bonjour Madame. Vous cherchez donc un jeu pas trop compliqué, mais qui offre quand même des choix intéressants et qui dure moins d’une heure ? »

Voyageons d’image en image

Peut-être connaissez-vous déjà Dixit, un jeu familial tout en poésie visuelle, qui a provoqué une petite révolution dans le monde ludique, par son accessibilité ? Conçu par un pédo-psychiatre dans une démarche initiale d’inclusion de ses jeunes patients, le jeu vous propose d’interpréter assez librement les illustrations oniriques présentes sur ses belles cartes grand format. Le joueur actif doit choisir l’une des cartes de sa main et énoncer à voix haute un mot, une phrase, une citation, un titre de film… que lui inspire cette carte. Sa proposition ne doit être ni trop évidente ni trop alambiquée. Chacun des autres joueurs explore alors sa propre main de cartes, pour en sélectionner une qui se rapproche au plus près de la proposition énoncée oralement. Toutes les cartes sont alors mélangées sur la table puis révélées et chacun va désigner celle qu’il pense être celle de l’orateur, afin de marquer un maximum de points. Simple, accessible et propice à de belles discussions à l’issue de chaque tirage, Dixit s’impose comme une évidence.

Dixit, c’est une porte toute trouvée pour s’initier aux jeux de société dits « d’association d’images » et prendre la tangente vers un titre un poil plus complexe, mais pas tant que ça…

Si l’on souhaite aller un peu plus loin et cette fois de façon coopérative, on peut se lancer dans Nouvelles ContRées. Le jeu de société Nouvelles ContRées a justement été nommé parmi les premiers jeux sélectionnés dans la catégorie « initié » pour le prestigieux prix de l’As d’Or 2022. Le principe, proche, nous propose cette fois de partir en exploration dans n’importe quel ouvrage de notre bibliothèque, en utilisant des marque-pages illustrés, en lieu et place des cartes de Dixit. Le joueur actif dispose quatre marque-pages comme autant de caps d’une boussole. Il lit ensuite six lignes de l’une des pages du livre et choisit secrètement l’un des quatre marque-pages comme étant celui qui correspond le mieux au passage lu. Un astucieux système d’exploration du livre utilisant un marque-page camp de base permet d’explorer l’ouvrage en picorant de ci, de là, jusqu’à atteindre (ou pas) le marque-page de la cité perdue.

« Oui, ça a l’air très bien. Je vais le prendre pour jouer en famille. Mais mon neveu, lui, il aime les jeux un peu plus stratégiques. Ou alors des jeux dans lesquels on vit une aventure. Il voudrait jouer à ça avec ses amis, le week-end.  Vous auriez ça ? »

« Bien sûr ! C’est le moment je vous présenter 7 Wonders et Gloomhaven. »

La famille 7 Wonders

Dans la famille “jeux de civilisation” familiaux, je peux vous proposer 7 Wonders Architects. Un jeu de civilisation qui se joue en trente minutes jusqu’à sept joueurs. Il s’agit du petit frère de 7 Wonders, le jeu le plus récompensé au monde. Eh oui, rien que ça. Dans ce jeu de cartes, chacun va tenter de construire une civilisation antique, autour de l’une des sept Merveilles du monde. Et quand je dis construire, je pèse mes mots, puisque chaque jour dispose face à lui un petit puzzle qui représente les différents étages de sa merveille. Le recto de chaque pièce du puzzle représente un chantier. Au verso, on trouve la version construite de la merveille, tout en dorures et moulures. Le grand plaisir de ce jeu réside dans son accessibilité. À mon tour, soit je prends la carte visible sur ma pioche posée à ma gauche, soit sur la pioche de mon voisin de droite. Il y a des cartes militaires (rouges), des cartes bleues (civil), des collections de cartes scientifiques (vertes), des cartes de ressources (grises et marron) qui me permettent de pivoter les étages de ma merveille sur leur face rutilante. Dès qu’un joueur a terminé sa merveille, la partie s’arrête et on compte les points de victoire. 7 Wonders Architects impressionne par ses règles accessibles, son matériel ET par la facilité avec laquelle on le met en place. En effet, chaque joueur dispose d’un rangement individuel fermé qui contient le puzzle de sa merveille et ses cartes posées dans un sabot bien pratique qu’on pose simplement sur la table.

Pour des sensations un peu plus casse-neurones (encore que…) vous pouvez ensuite passer à 7 Wonders.

Il offre une complexité à peine supérieure, mais un nombre de paramètres plus important et des choix cornéliens à chaque tour. Le jeu se déroule en trois périodes historiques qu’on appelle des âges. A chaque âge, vous recevez sept cartes, qui représentent chacune un bâtiment (civil, militaire, scientifique… comme dans 7 Wonders Architects) Malheureusement, vous ne pouvez pas conserver les sept dans votre cité. Il va falloir choisir. Et choisir, c’est renoncer. Je ne vous ai pas dit le pire : vous ne pouvez conserver qu’une seule carte à ajouter dans votre cité. Toutes les autres, vous devez les donner à votre voisin ! En compensation, vous allez recevoir celles de votre autre voisin (on appelle ce principe de circulation de cartes le “draft” (vous allez pouvoir frimer en soirée). Les cartes vont ainsi circuler jusqu’à épuisement. Le principe est simple comme bonjour, mais les choix stratégiques proposés par cette circulation de cartes sont passionnants.

« Bon… je vois que vous aimeriez passer à la vitesse supérieure. Si votre neveu aime les univers de fantasy et qu’il n’a pas peur de se lancer dans une saga de plusieurs dizaines d’heures, on peut ouvrir le coffre au trésor de Gloomhaven. »

Gloomhaven : 15 kg de bonheur

15 kilos de matériel, 90 scénarios, 1700 cartes, classé meilleur jeu de société du monde sur le site de passionnés Boardgamegeek.com… n’en jetez plus. Gloomhaven c’est un jeu phénomène. Si vous voulez faire vivre une aventure de longue haleine à votre neveu, dans un univers à la Seigneur des Anneaux, vous êtes pile poil sur le bon jeu de société. Le jeu est un pachyderme en termes de contenu et d’heures de jeu possibles, ce qui en fait un jeu pour « Experts« , mais le cœur des règles demeure accessible. Chaque joueur incarne un héros. Pour faire face aux embûches du scénario (et elles sont nombreuses) chaque héros dispose d’un paquet de cartes qui lui sont dédiées. À son tour, il faut jouer deux cartes. L’une des grandes idées du jeu est que ces cartes sont divisées en deux zones : haut et bas. Cela permet d’adapter ses décisions à la volée, quand nos partenaires de jeu ou que les adversaires gérés par le jeu se lancent dans des actions imprévues. Il faudra aussi bien utiliser ses cartes, car elles seront défaussées à mesure du jeu, soit dans une défausse temporaire qui les rendra réutilisables en cours de scénario, soit dans une défausse permanente. Un petit système malin basé sur ces défausses permet ainsi de simuler l’épuisement du héros. Ajoutons à cela que le jeu est à embranchements et que vos décisions, vos victoires et vos échecs ouvriront et fermeront certains pans de l’histoire.

Précisons aussi qu’il s’agit d’un jeu “Legacy”. Ce terme exotique désigne une famille de jeux dont vous allez altérer le matériel de façon permanente, via des autocollants, notamment, pour rendre plus palpable l’impact des actions de vos héros sur l’univers. À vous de voir si vous êtes prêt à altérer votre jeu chéri…

Si vous ne disposez pas d’un meuble permettant d’accueillir ce géant, ou si tout simplement, vous n’avez pas le temps ni l’argent pour vous lancer dans Gloomhaven, vous pouvez vous tourner vers… Gloomhaven : les mâchoires du lion. Similaire dans son approche autant que dans son principe, il offre une expérience de jeu plus ramassée, quoique nécessairement moins riche. Vous n’y trouverez “que” 25 scénarios et un matériel plus raisonnable, pour un tarif forcément inférieur. Les plateaux de jeu, par exemple, ont été remplacés par un livre à reliure en spirale. Ainsi, en ouvrant le livre sur la table, vous disposez d’un plateau prêt à jouer ! Le casting est composé de 4 personnages uniquement, que vous incarnerez du début à la fin de la campagne, contrairement aux héros de Gloomhaven qui prennent leur retraite après avoir accompli leur quête individuelle. Une version d’introduction idéale pour découvrir le riche univers de ce jeu hors norme.

Ah ben oui, c’est plus clair !

Vous l’aurez compris, il y a forcément un jeu qui vous correspond. Conseil des vendeurs, tutoriels en ligne, articles sur internet… les outils ne manquent pas pour vous permettre de faire votre choix. Comme le disait le philosophe Jean-Michel Platon, “c’est le premier pas qui coûte”.