Jeux de rôle
Type de jeux
Le jeu de rôle est probablement l’un des loisirs les plus surprenant. Quelque part entre le théâtre et le jeu de simulation, il permet aux joueuses et aux joueurs qui s’y lancent des escapades mémorables. D’abord (très) confidentiel, il a aujourd’hui une place à part entière dans le paysage du jeu de société. Nous vous proposons de revenir sur cette histoire, à travers dix dates et dix jeux de rôle qui ont marqué leur époque… Jusqu’à aujourd’hui.
Avant cela, si vous ignorez tout du jeu de rôle, pas d’inquiétude : nous avons déjà publié un article qui présente les bienfaits du jeu de rôle, ainsi qu’un livret à imprimer, qui contient tout le nécessaire pour découvrir ce loisir.
À présent, revenons dans le temps !
Les Grands Anciens du jeu de rôle : aux origines
Creusons aussi loin que possible : les jeux de rôle ont pour origine les « jeux de guerre », qui en premier lieu n’avaient de jeu que le nom. Ces simulations de guerre avaient pour objectif de former les officiers aux tactiques militaires, au XIXe Siècle et au début du XXe Siècle. C’est de ces « jeux de guerre » qu’émergent les « wargames ». D’autres genres apparaissent : jeux de diplomatie, géopolitiques. Dans les campus américains, des étudiants jouent durant des heures à ces simulations de bataille.
Parmi eux, un certain Gary Gigax.
Donjons & Dragons : cottes de mailles et roleplay
Le wargame a connu un épisode de gloire durant les années 60 et 70. De nombreux thèmes étaient abordés, des guerres prussiennes aux batailles antiques, en passant par les conflits majeurs du début du Siècle.
Gary Gigax, joueur passionné de wargames, avait rédigé un corpus de règles pour simuler les combats médiévaux : Chainmail (cotte de mailles, en français). Pour épicer des parties parfois répétitives, ses amis et lui y avaient incorporé des objectifs personnels, pour ensuite construire de véritables campagnes et enfin s’approprier des personnages, avec leur histoire et traits de caractère. En quelque sorte, ils les jouaient (roleplay) et s’y attachaient.
La publication du Seigneur des Anneaux en 1967, avait poussé cette génération de joueuses et de joueurs à chercher au-delà des simulations purement historiques, pour injecter dans leurs parties de wargames une dimension fantastique et épique.
Aux alentours de 1970, tout cela se rejoint pour que se déroule la toute première partie de jeu de rôle de l’Histoire. Dave Arneson, ami de Gigax, propose sur la base des règles de Chainmail une exploration de donjon (Dungeoncrawling), loin des batailles historiques. Si les deux hommes se séparent plus tard, cette expérience donne naissance à l’ancêtre et au plus célèbre des jeux de rôle : Donjons & Dragons (D&D), celui auquel nous avons, rôlistes, quasiment toutes et tous joué, quelle que soit la version.
Depuis 50 ans, c’est sous ce nom qu’ont été publiées 5 éditions différentes, toutes affinées, pensées, pour accueillir des joueuses et des joueurs dans un nombre incroyable d’univers ! Des classiques mais néanmoins mythiques Royaumes Oubliés, jusqu’aux terres ravagées d’Eredane (Midnight), D&D propose un nombre incroyable d’aventures et de genres différents (pensez donc, il y a même un livre pour jouer dans le monde d’Hellboy !).
Cette 5e édition est probablement la plus accessible, un point d’entrée idéal dans le jeu de rôle.
Donjons & Dragons vous propose des aventures de tous les genres… Ici, un vol de poireaux à l’arraché !
En quête de l’Antiquité : Runequest
Les premières règles de D&D étaient pour le moins obscures. De nombreuses personnes, plus attirées par l’incarnation de héros que l’application stricte de tableaux, les ont contournées, modifiées puis adaptées. C’est parmi ces gens qu’ont émergés les futurs créateurs de jeux de rôle.
Greg Stafford, auteur du jeu de plateau Dragon Pass, paru en 1975, est l’un d’entre eux. C’est pour ce titre qu’il a créé un univers entier, Glorantha, où des cultures antiques se côtoient, se font la guerre, vivent parfois en paix, et vénèrent des kyrielles de Dieux et d’entités mythiques. Un environnement riche en interactions et, donc, en possibilités d’aventures ! C’est dans ce sens qu’est publié Runequest, un des premiers jeux de rôle qui n’emploie pas les règles de D&D.
Depuis 1978, pas moins de 7 éditions se sont succédé, autour d’un système de jeu qui fera florès : le D100 (prenez deux dés à 10 faces : l’un sera les dizaines, l’autre les unités. Par exemple, vous lancez et obtenez un 8 et un 4 : 84. Le but étant d’obtenir un résultat sous un score exprimé en pourcentage pour réussir votre action). Runequest est un jeu de rôle qui se distingue de son grand frère Donjons & Dragons par son univers, ses règles (des combats plus mortels, par exemple) et ses différents systèmes de magie : runique, chamanique, la sorcellerie, etc. Si les aventures et scénarios sont tout autant épiques, c’est d’une autre façon, avec cette saveur d’Antiquité si particulière, loin des standards qui jusqu’alors dominaient les tables de jeux de rôle. De plus, la magie y est omniprésente : tout le monde est capable de la manipuler, même un peu ! La dernière édition en date a été traduite par les studios Deadcrows (2018).
Runequest : quand l’Antiquité rencontre l’héroïsme. À défaut de jouer des dieux, incarnez leurs hérauts !
Horreur cosmique et folie : L’Appel de Cthulhu
Howard P. Lovecraft, auteur du début du XXe Siècle, a marqué la littérature d’épouvante. La cosmologie qu’il a développée est désespérée et sans équivoque : il y dépeint l’Humanité comme un accident dans l’univers, une espèce infime et à peu près comparable à un insecte… Au regard des créatures incommensurables qui existent à la périphérie de notre galaxie, malveillantes et qui existaient avant nous et existerons bien après nous.
Chaosium, qui publiait Runequest, avait pour projet un jeu de rôle dans cet univers pour le moins glaçant. Il fut pleinement développé en 1981, lorsque Sandy Peterson proposa de rédiger un supplément pour Runequest, qui se déroulait dans le monde des rêves de HP Lovecraft. Peterson prit la tête du projet et en charge l’écriture du jeu de rôle désormais légendaire : L’Appel de Cthulhu.
Les joueuses et les joueurs y incarnent des Investigateurs, des mortels en quête de vérité, à différentes époques et dans divers lieux. Face à eux tout le bestiaire métaphysique et monstrueux de HP Lovecraft se dresse, prêt à les briser… Psychologiquement autant que physiquement. Principalement un jeu d’enquête et d’horreur, nous y avons plongé pendant des dizaines d’heures, parties après parties, depuis des décennies… preuve s’il en est que cet univers est aussi profond que vivant. Il profite du système de D100, qui est la marque de fabrique des jeux de rôle de chez Chaosium.
Devine qui vient à la maison ce soir ? C’est Cthulhu !
La nouvelle vague française : du jeu de rôle qui tache
Si L’Appel de Cthulhu a d’abord plus de succès en France que D&D, c’est dû à la différence de proposition entre ces deux jeux. L’un est alors une succession d’explorations, de gains de niveau, de partage de butins, de dragons à occire. L’autre est beaucoup plus immersif et il sollicite une réflexion qui dépasse la stratégie : l’enquête est au cœur de son récit. En ce sens, la production de jeux de rôle française se démarque très rapidement de celle outre-Atlantique (même si les Français plongent très volontiers dans les donjons, pas d’élitisme ici !).
Gargouilles et folklore : Maléfices
1984, France : les éditions Descartes publient Maléfices, avec pour sous-titre, « le jeu qui sent le soufre ». Et pour cause, il s’agit d’un jeu horrifique, qui situe son action dans la France entre 1870 et 1914. Ici, l’épouvante est locale : loups-garous, vampires et diables hantent un arrière-pays empreint de superstitions. Les joueuses et les joueurs y enquêtent sur des phénomènes que la science peine à expliquer, au long d’investigations qui mettent en péril leurs corps et leurs âmes. De nombreux scénarios les entraînent dans les salons feutrés de la bourgeoisie, au fond de cimetières abandonnés ou d’églises à l’histoire trouble, à la rencontre d’une galerie de personnages hauts en couleur.
C’est cette ambiance si particulière, digne d’André Gide, de Maurice Leblanc ou d’Edgard Alan Poe, qui marquera le paysage du jeu de rôle français. Maléfices aura droit à une nouvelle édition en 2004, grâce au Club Pythagore, puis en 2020 aux éditions Arkhane Asylum, dans une version qui sauvegarde elle aussi l’esprit, tout en modernisant le système de jeu (grâce à un jeu de tarot magnifique).
Loin de l’horreur cosmique, au plus près du quotidien, Maléfices continue d’effrayer des groupes entiers de joueuses et de joueurs.
De la fin du XIXe Siècle au début de la Première Guerre Mondiale, Maléfices vous comblera d’horreur…
Le post-apo près de chez vous : Bitume
Imaginez une France façon Mad Max. Figurez-vous une population amnésique et perdue, divisée en tribus dont les seules références sont celles des années 80. Un monde où les ressources sont rares et sources de conflits. Les racines ont défoncé les routes, des Punks jonglent avec des grenades et des cocktails incendiaires, tandis que des bolides crament de la gomme sur des autoroutes à moitié effondrées : soyez les bienvenus dans cet univers, véritable madeleine de Proust au bon goût de kérosène, qu’est Bitume ! Échangez des jerrycans d’essence contre des walkman, dans un jeu de rôle qui a marqué son temps. C’était non seulement le premier post-apo francophone (1986), mais également un condensé de références que les moins de 40 ans n’auront pas forcément.
Croc publie d’abord ce bijou à compte d’auteur. Plusieurs éditions se succèderont, la 5e sous la bannière des Siroz Productions. Bitume fait date parce qu’il propose un univers bordélique, surréaliste, mais cohérent. Les joueuses et les joueurs peuvent y plonger avec tout le sérieux du monde : tôt ou tard, ça tournera au grand n’importe quoi, mais ça fera sens.
C’est tout le génie de Bitume, qui revient en 2021, chez les éditions Raise Dead. Sous le système de jeu moderne dit des Chroniques Oubliées (issu de règles synthétiques de D&D), l’univers post-apo ressuscite, fort de ses délires, de ses courses-poursuites à travers une France recouverte de végétation et des ruines des années 80. Un road-trip dans le passé, à notre époque. Du génie, on vous dit.
Dans les landes désolées de la Creuse, après l’apocalypse, on vous observe à coup sûr…
Entre enfer et paradis : In Nomine Satanis/Magna Veritas
1989, mois de janvier, parait chez Idéojeux, éditeur qui deviendra Siroz productions, ancêtre d’Asmodée, première mouture d’Asmodee, un jeu de rôle emblématique, à nul autre pareil : In Nomine Satanis/Magna Veritas (INS/MV)*. Son propos ? Les anges et les démons (entre autres, mais principalement eux) sont sur Terre, incarnés dans des corps humains. Leur objectif ? Contrecarrer les plans du camp d’en face, corrompre ou préserver, selon leur allégeance, l’âme de l’humanité. Leurs moyens ? Des capacités surnaturelles (dont le contrôle des amibes, rare et parfaitement inutile). Leurs pires adversaires ? Le camp d’en face, leur propre hiérarchie, digne d’une bureaucratie kafkaïenne, l’impératif de discrétion.
Le décor pour un délire absolu est planté.
Durant les cinq éditions qui ont fait d’INS/MV un jeu de rôle légendaire, Croc et ses équipes ont construit un univers complexe, d’une richesse insoupçonnable. Vous pensiez tout savoir du jardin d’Eden ? De Denver, le dernier dinosaure ? De l’Archange Gabriel ? Détrompez-vous : INS/MV ébranlera vos certitudes.
Jeu de rôle « à missions » (votre hiérarchie vous envoie quelque part, avec un but), INS/MV inclut des enquêtes, un nombre incroyable de clichés plus subtils qu’il n’y parait, des clins d’œil à chaque scénario et une énorme dose d’humour noir incisif.
La dernière édition en date, In Nomine Satanis/Magna Veritas – Génération perdue (2015), parue aux éditions Raise Dead, reprend là où la 4e avait laissé les joueuses et les joueurs : la fin du Grand Jeu entre anges et démons, Satan et Dieu. Voici à nouveau que les créatures célestes et infernales se souviennent de leur passé, après des années « en sommeil ». Si le principe de discrétion perdure, la hiérarchie a disparu et tout le monde se retrouve un peu paumé, à chercher ses anciens alliés, à rencontrer par mégarde ses pires ennemis… Et sans ordre de mission, dans un foutoir où les rancunes d’hier sont les embrouilles du jour.
Il va y avoir du sport, comme on disait dans les années 90.
*À savoir pour frimer en soirée, que les noms même d’Asmodée (et donc d’Asmodee), ainsi que de la société Novalis, sont directement inspirés d’un Prince-démon et d’un Archange qui apparaissent dans INS/MV, respectivement le Prince-démon du jeu et l’Archange des fleurs (peace & love, quoi).
Anges et démons sont de retour… Et ils ne sont pas contents.
Les jeux de rôle : une histoire un peu hors du temps
Nous concluons cette première partie à l’aube des nineties, qui verront les horizons du jeu de rôle s’élargir et partir sur des territoires encore inexplorés… Déjà riches en propositions d’aventures inoubliables, les gammes disponibles vont se multiplier, s’adresser à de nouveaux publics. Mais tout cela, ce sera pour le second et dernier épisode de notre Histoire du jeu de rôle en 10 dates et 10 jeux !
Thomas
Le Rédac’chef est une créature qui fuit le soleil et le regard des gens. Semi-fongoïde, ce composé organique est un passionné d’encre, dans la peau, sur le papier, même numérique, tout ce qui se lit et s’écrit le fascine. Il en pince pour les chats, les jeux (de société, de rôle, vidéo), le sabre Japonais et toutes ses déclinaisons. On peut le trouver dans les recoins sombres ou en pleine lumière, au Dojo. Il se nourrit de café, de ronronnements et de ses passions.
Voir tous les articles